De l’intégration européenne
d’Agnès Bisciglia
L’habit ne fait pas le moine, dit la sagesse populaire. Qu’en penses-tu lecteur? Tu fais la moue? Allons, accompagne moi, je vais te raconter une histoire.
Ce matin, un faisan a traversé la pelouse, un beau coq bien fier de ses plumes rutilantes. Un bref instant, j’ai cru voir mon homme dans tout son éclat, défiant la poule faisane terne que je suis.
Tu fais la moue? Encore une histoire de nana avec son mec?
Et bien non, je me suis un peu laissée emporter. Je reprends : ce matin, un faisan a traversé la pelouse, un beau coq bien fier de ses plumes rutilantes. Il picorait de ci, de là indifférent au danger en ce jour de chasse aux Guinets. Il secouait régulièrement sa patte gauche, comme s’il souhaitait se débarrasser de quelque chose. Une bague enserrait cette patte, une bague sur laquelle était écrite: Pologne. 3 ans.
Tu fais la moue? Pas seulement, reprenons ensemble.
Ce jeune coq était bien né en Pologne, avait bien 3 ans et venait d’accomplir un long voyage en camion de sa Pologne natale vers la Normandie. Il venait de vivre 3 journées et 2 nuits de cauchemar enfermé dans une cage à claire-voie avec une vingtaine de ses congénères et avait été lâché dans des bois inconnus, au soir du 3ème jour, par le Président de l’ASPCG, l’Association Sportive Pèche et Chasse des Guinets. Il ne le savait pas encore mais il était voué à être de la chair à fusil de chasse, promis à une mort certaine et serait glorieusement emporté à la maison, pour, une fois tout déplumé et mis au congélateur, finir un dimanche dans l’assiette de son valeureux vainqueur.
Tu fais la moue? Pas seulement, reprenons ensemble.
Le jeune coq, indifférent aux détonations qui perturbent le calme du bocage normand, se glisse sous une haie touffue et tombe bec à bec avec une jeune poule faisane au plumage bien terne mais au corps bien replet, une de ces petites poules faisanes bien grasses que les chasseurs aiment bien ramener à la maison car leurs femmes ravies obtiendront un bon fond de sauce en les faisant sauter à la casserole. Sous les arbres, le temps s’est arrêté. Sous le ciel bleu, coup de foudre ! Le beau coq bien fier de ses plumes rutilantes et la poule faisane au plumage bien terne mais au corps bien replet se fixent énamourés.
Tu fais la moue? Pas seulement, reprenons ensemble.
La poule faisane était normande, avec toutes ces caractéristiques de volonté bien trempée que Maupassant décrit dans ses Contes et Nouvelles à propos des femmes normandes. La poule faisane prit le jeune coq sous son aile et lui expliqua qu’il ne servait à rien de faire le beau au milieu de la pelouse, c’était la mort assurée. Il valait mieux vivre à l’abri, sous cette haie, bordée à l’ouest par un champ de maïs qui chaque printemps re-naissait et que ces culs-terreux de l’ASPCG, l’Association Sportive Pèche et Chasse des Guinets, entretenaient religieusement sans savoir qu’il permettrait à un beau coq bien fier de ses plumes rutilantes et sa poule faisane au plumage bien terne mais au corps bien replet de trouver subsistance abondante près de leur nid d’amour. Il valait mieux sortir le soir quand ces culs-terreux de l’ASPCG, l’Association Sportive Pèche et Chasse des Guinets, étaient renfermés dans leurs propres poulaillers, et profiter des arrosages installés dans le champ pour se rafraîchir et voleter dans la brume au-dessus de la hampe des maïs. D’ailleurs, il fallait se méfier de ces culs-terreux de l’ASPCG, l’Association Sportive Pèche et Chasse des Guinets, toujours sur leurs deux pattes chaussées de bottes terreuses, toujours en train de viser à droite ou à gauche avec leurs fusils, compétents même pour ne pas se rater entre eux. Miracle, un canardeur de faisans de moins ! Incapables ces culs-terreux de l’ASPCG, l’Association Sportive Pèche et Chasse des Guinets, de se décoller de la glaise pour décrire dans le ciel ces vols harmonieux qu’un beau coq bien fier de ses plumes rutilantes et une poule faisane au plumage bien terne mais au corps bien replet sont capables de dessiner dans l’azur.
Tu fais la moue? Pas seulement, reprenons ensemble.
L’automne passa, l’hiver s’étira. Au printemps naquit dans la haie près du champ que les abrutis de l’ASPCG, l’Association Sportive Pèche et Chasse des Guinets venaient de planter, une nichée de jeunes oisillons faisans, à la fois polonais et normands. Européens quoi !
Tu fais la moue? Pas seulement, c’est juste une histoire, notre histoire, oh mon lecteur favori, pour qui j’ai écrit ces quelques lignes. Toi qui étais venu de ta Pologne lointaine pour travailler comme sous-traitant d’une entreprise normande afin de retaper ma maison au toit de chaume. Toi qui portais beau dans ton bleu de travail et que je matais, derrière mes lunettes, lorsque tu jouais des pectoraux pour charrier des tuyaux. Toi qui regardais avec une certaine condescendance cette silhouette indistincte, vêtue de couleurs ternes, toujours à moitié cachée par son micro-ordinateur. Mais toi qui t’étais fait rouler par l’entreprise normande qui ne t’avait pas payé tout ton dû. Toi que j’ai aidé à faire les démarches nécessaires pour te faire rétribuer intégralement. Toi qui as occupé la chambre d’amis un temps, le temps que tu trouves un nouveau job, puis ma chambre à l’étage, puis as immatriculé au Registre du Commerce une SARL « Au joyeux plombier polonais » dont le siège social est dorénavant situé « Impasse des faisans, les Guinets, Normandie, France . Europe. »
L’habit ne fait pas le moine, mais l’Europe progresse !