Il
de Martine Quinette
L’église est pleine. Il rentre, enserrant deux enfants par les épaules. L’un d’eux pleure doucement. Ensemble, ils avancent et s’assoient au premier rang. Il garde les yeux fixés droit devant lui.
Il est allongé dans sa cabine en attendant l’heure de la relève. Il ne lit pas, il ne dort pas. Le temps n’existe plus, étal comme la mer. Il est ailleurs, dans un songe qui ressemble à la mort.
Chaque accostage comme une résurrection. Retour sur terre.
Sa voix au téléphone comme des bras offrant un creux d’épaule.
Rendez-vous au café. Il m’attend. C’est lui qui m’attend, toujours. Une manière de prendre pour lui l’inquiétude et de m’en épargner.
Ses mains larges et fermes caressent tout ce qu’elles touchent. Le verre qu’il a posé devant lui pendant qu’il me parle. Le bois après le ponçage, l’argile des dunes, les fruits cueillis, le granit râpeux d’un rebord de fenêtre, un tissu, le bronze épuré d’une sculpture, des plantes odorantes dont il respire longtemps le parfum entre ses doigts, le tronc d’un arbre, les chats qui viennent à lui.
Et moi.
La table est mise. Il y a du monde autour. Il est debout, un plat en terre fumant qu’il tient avec deux grosses moufles de cuisine. Le sourcil haut et le sourire confiant. Il vient de goûter, il sait déjà qu’on va se régaler.
Chaque repas comme un rituel qu’il n’est pas question de bâcler. Chaque jour le même effort pour restaurer les corps.
Il marche dans la rue, d’un pas tranquille, peut-être un peu las. Et en même temps à l’affût d’un détail à découvrir, d’un repère à ne pas perdre. Chez lui, comme à l’étranger, pareil. Avec cette aisance qu’ont les marins au long cours que des escales lointaines ne désorientent plus. Le nord est toujours au nord. Et tous les ports finissent par se ressembler. Même cafés, mêmes cheminements vers le centre-ville, mêmes visages absents. Mêmes demandes d’amour, partout.